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férocité et de cautèle ; des chèvres, des chevaux, des vaches, se trouvaient paissant l’herbe fiévreuse, à fumet de vitriol, de chlore et de suie.

Si les moineaux développaient des tribus victorieuses, on rencontrait aussi des merles, des pinsons, des fauvettes, des ramiers, des corneilles, des freux, tandis que les poules déchiquetaient la terre ingrate, que des canards s’ébrouaient auprès d’une flaque ou qu’une oie abrutie rauquait sinistrement dans la cour d’un nourrisseur…

Autour fumaient les usines, grouillait une humanité dévorée d’alcool, de misère et de vermine, une marmaille sortie de flancs hasardeux : Rougemont en tirait la substance de ses méditations. La face grumeleuse ou safranée de l’artisan, la femme traînant des hanches inégales ou un thorax rachitique, l’enfant à la pâleur d’endive, aux membres en lanières ; les coxalgiques, les claudicants, les bancals et les bancroches ; les dartreux, les eczémateux, les convulsifs et les hystériques ; tant d’yeux ivres, strabiques, bordés d’anchois, larmoyants ou cireux, symbolisaient l’égoïsme et la férocité sociale.

François exagérait sans mesure la valeur du capital humain. Dans chacune des usines fumantes sur l’horizon, il voyait une force exorbitante, détenue par quelque mauvais génie, et ne songeait guère au fabricant menacé par des compétitions brusques, effaré entre le besoin d’un outillage neuf et l’impossibilité de faire le sacrifice du vieux, aux entrepreneurs assommés par les échéances et jetés au déchet.

S’il pensait par hasard à la vaste ignorance du maître comme de l’artisan, au conflit des besoins anciens et des besoins nouveaux, aux appétits des races dévorant la planète, aux instincts durs s’attaquant à la molle veulerie, il s’en détachait vite et s’hypnotisait sur la victime ouvrière. Ainsi était-il dans son rôle. Car les actes humains exigent qu’on