bête. Brigode avait une tête de gouape, des yeux faux et cruels, et prenait les filles par la terreur.
Mélie le détestait ; elle écoutait avec faveur Auguste Bertaud, honnête, propre et sobre, qui se faisait sept francs par jour dans l’ébénisterie : Brigode chercha querelle à Auguste, le renversa d’un coup de tête dans le ventre, lui enleva plusieurs dents et faillit lui crever l’œil. Après quoi, il emmena Mélie épouvantée et la prit de force, dans le fossé des fortifications. Comme elle avait des économies, il vécut quelque temps « en artiste », puis il voulut la contraindre à fréquenter un marchand d’issues. La petite s’enfuit, elle se cacha chez Bertaud, mais Brigode la rattrapa au bout de deux jours, lui fendit le ventre et lui troua le cœur.
La grande Eulalie témoigna au procès et entendit la plaidoirie de maître Carmelin. Il raconta que Mélie était une créature versatile, coquette et aguichante, qui excitait la rivalité des mâles. Brigode, brave ouvrier, un peu vif, mais plein de cœur, dont une maîtresse fidèle aurait fait tout ce qu’elle aurait voulu, se vit trahi et perdit la tête. Dans une minute de délire, il avait frappé ; d’ailleurs, il se repentait amèrement et aurait donné sa vie pour ressusciter sa victime. Douze idiots se prirent au piège de cette plaidoirie et acquittèrent Brigode.
Depuis, Eulalie ne pouvait supporter les hommes qui prononcent de beaux discours ; elle disait que les députés, les conseillers municipaux, les meneurs du syndicalisme parlaient de leurs adversaires et de leurs amis avec la même bonne foi que maître Carmelin de la petite Mélie et de Jérôme Brigode. François n’y vit d’abord qu’une agacerie ; à la longue, comprenant que la grande bringue exprimait un sentiment profond, il se dépita.
De tout temps, il avait été sensible à l’opinion de ceux qui méprisent l’éloquence ou qui s’en défient. Tant que l’ironie et la colère s’exerçaient contre