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XV


François rencontrait souvent Georgette Meulière et la grande Eulalie. Elles lui jetaient des paroles vides, qu’acidulait un ton goguenard, et le regardaient dans les yeux, avec leur malice de chèvres. Sa popularité les taquinait : elles faisaient profession d’en rire. La grande Eulalie déclarait que les syndicalistes étaient plus « bassinants » que les bourgeois et plus gobeurs que les chanteurs d’alleluia. Elle se plantait devant Rougemont en grasseyant :

— Tu crois que c’est arrivé ? Tu t’imagines qu’y vont devenir des petits bêtes à bon Dieu et faire la première communion du partage ? Il n’arrivera rien du tout. Ils finiront par se flanquer des beignes. On est des types et des typesses avec de la peau dessus… la justice, c’est de l’esbrouffe et ta Confédération du travail, c’est des gens qui sont jaloux des ministres. J’aime autant me mettre femme sauvage.

Il la considérait avec une bienveillance sévère et répondait :

— Tu n’irais pas sans robe, ma petite camarade, tu claquerais de froid ! Tu ne mangerais pas de l’herbe ni des racines, tu n’attraperais pas les lièvres à la course, tu ne pourrais pas vivre dans un arbre ; on t’attendrait au coin du bois ou de la prairie avec une bonne trique, et si tu te rebiffais, un coup sur le crâne t’apprendrait à vivre.

— C’est pas vrai ! Quand on a l’habitude de manger du pain et de fabriquer des robes, on ne se