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fait entrevoir les incertitudes du procès et on lui offre tout de suite une pension, un tiers de son salaire, par exemple, s’il est devenu tout à fait infirme. Le brave homme compte qu’un tiers de son salaire, ça fait un franc cinquante à un franc soixante et il signe. Le tour est joué. Il touchera soixante-quinze à quatre-vingts centimes par jour.

Rougemont fit une pause, en regardant son auditoire, et rien qu’à la manière « dont il se sentait sourire », il comprit l’intérêt qu’il reprenait à son rôle.

— Attendez, reprit-il. Ne vous « épatez » pas. Le camarade, ai-je dit, touchera soixante-quinze centimes au lieu d’un franc cinquante. Et pourquoi ? Parce qu’il doit payer la moitié de la pension lui-même. C’est la loi. Elle partage la responsabilité entre l’accidenté et l’exploiteur ; ils sont chacun responsables pour une part. En attendant, l’ouvrier, qui ignore tout, a signé. Il est frit. S’il crie, l’exploiteur rigole : « Il fallait connaître la loi, mon bonhomme ! » Et voilà encore une bonne raison pour aller au syndicat. Vous saurez ce qui vous revient, vous serez conseillés, appuyés par le conseil judiciaire de la Bourse du travail et par la C. G. T. Vous serez aussi défendus contre certaines exploitations ignobles, comme celle du camarade afficheur que j’ai vu, l’autre jour, là-bas, au mur du Temple, soutenu en l’air par une corde à nœuds. Il pleuvait des sabres ! Ce pauvre bougre était en cotte, en savates percées, la blouse collée par l’averse, faisant un travail d’acrobate et  de forçat…  On ne pouvait s’empêcher de se dire : « Enfin, est-ce une brute ? Est-ce un homme ? »

Compagnons, il faut que cela finisse, il faut que les afficheurs cessent d’être à la queue de l’organisation syndicaliste quand ils pourraient si facilement être à la tête ! Allons ! un peu plus de solidarité, un peu plus de courage, un peu plus de libre disci-