nuit. Quand ils ont gagné une première thune, ils ne se gênent pas pour en gagner tout de suite une deuxième. Naturellement, la plupart ne se figurent pas qu’il y ait là le moindre mal. C’est qu’ils ne réfléchissent pas. S’ils réfléchissaient, ils se souviendraient des camarades qui chôment et qui crèvent de faim…
François avait jusqu’alors parlé d’une voix sourde. Ses idées se cousaient les unes aux autres sans qu’il y prît intérêt. Mais quand il arriva à la dernière phrase, les mots prirent une force subite. Il s’éveilla, il s’anima. La pitié, sœur de sa propre peine, lui mouilla les paupières ; son accent devint pathétique :
— Ce n’est pas bien, camarades !… C’est une offense à la solidarité qui doit unir les travailleurs contre la rapacité des patrons et les cruautés de la vie… C’est aussi une terrible imprévoyance. Chaque fois que vous acceptez de faire double besogne, vous aiguisez l’arme qui sert à vous égorger, vous augmentez la force de l’exploiteur et la faiblesse de l’ouvrier. Ah ! il est grand temps que les afficheurs s’en rendent compte, grand temps qu’ils s’organisent, qu’ils aient, comme les ouvriers du bâtiment, les terrassiers, les typographes, un syndicat puissant et redouté. C’est vraiment une chose étonnante de vous voir au dernier rang du syndicalisme, alors que personne ne peut tirer autant d’avantages de l’union. Il y a trois ans, pas un seul afficheur ne connaissait le chemin de la Bourse du travail. Aujourd’hui encore, vous êtes en nombre ridiculement petit. Ignorez-vous donc les misères de l’isolement ? Ne vous êtes-vous jamais demandé si votre salaire ne pourrait pas être porté de cinq à sept francs, ce qui vous épargnerait d’une part les fatigues de la surproduction, qui vous tuent avant l’âge, et, d’autre part, donnerait du travail aux chômeurs ? Ah ! chers camarades, la solidarité n’est pas seulement une chose belle par elle-même, qui vous élève au-dessus