Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/323

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sous des cheveux lait de chaux, une face fine, joviale, bénévole : avec sa blouse bien repassée, il ressemblait à quelque prêtre de contrebande.

Accoutumé aux présidences il prit son siège avec familiarité. Après quoi, il vérifia des cartes et donna de braves coups de timbres, en collaboration avec le secrétaire en salopette. Ce jeune homme, dont la conviction se faisait jour à travers chaque pli du visage, lut le procès-verbal de la précédente séance, avec une vélocité toute sportive, et le rendit presque incompréhensible, à la satisfaction évidente des assistants.

Ensuite le père Bougeot prétendit accorder la parole au camarade François Rougemont. Mais un homme en blouse se leva et montra qu’il était formaliste :

— L’assemblée, dit-il, est maîtresse de son ordre du jour. Si on ne respecte pas ses droits, ce n’est pas la peine d’être un groupe organisé. Avant que le camarade Rougemont — et on remercie bien cordialement le camarade d’être venu — avant que le camarade Rougemont prenne la parole, il faut qu’on vote sur le programme de la soirée. Je ne suis pas votard, mais enfin, il faut respecter les droits de l’assemblée.

— Ah ! pardon, s’écria le père Bougeot, ce n’est pas une séance ordinaire, c’est une séance de propagande…

— Il faut respecter les droits de l’assemblée ! répéta l’homme.

Il tournait vers le président une face procédurière et tatillonne. Un personnage frisé l’appuyait d’une voix aboyante, et cinq ou six blouses approuvèrent d’une oscillation. Mais un autre camarade, une bonne tête de barbet, aux prunelles sirupeuses, franchit trois bancs et tonna :

— Le citoyen Rougemont est notre invité… Ça n’est pas convenable de lui rogner la parole.