Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/322

Cette page a été validée par deux contributeurs.

conscient de son être, ou plutôt en jaillissait, car il éprouva un grand soulagement.

Ses convictions reverdirent ; sa pitié pour les travailleurs reprit, sous une forme languissante et comme nimbée de poésie ; il recommença la propagande. À la vérité, il le fit mollement. Une buée le séparait de ses interlocuteurs. Ses phrases flottaient ; les mots obéissaient capricieusement à l’appel, des rêveries faisaient dériver son imagination. C’est à une séance des ouvriers afficheurs qu’il se sentit, pour la première fois, renaître. Le syndicat de ces braves gens faisant des progrès médiocres, ils avaient organisé une réunion professionnelle. François avait promis au père Bougeot, un habitué des Enfants de la Rochelle, d’y prendre la parole. C’était pour neuf heures, à la Bourse du travail, dans une petite salle du rez-de-chaussée, à droite, pauvre salle nue, peuplée de deux tables pauvres et de bancs sans dossier. Sur la table, on apercevait des registres, des cartes syndicales, des feuilles de papier, une boîte de fer-blanc, des timbres mobiles.

Les compagnons ne se hâtaient guère. Les uns « s’amenaient » avec une blouse boutonnée — ce qui leur donnait l’air d’être en chemise, — les autres la préféraient ouverte sur le gilet ou le veston ; certains étaient très propres, luisants de clarté, d’autres tachetés de crotte ou saturés de poussière agglomérée à la colle ; beaucoup portaient tout simplement le veston.

Une heureuse atmosphère de vagabondage flottait sur l’assemblée ; les afficheurs s’asseyaient en rond ou confabulaient par groupes mobiles, avec des airs de ne pas savoir au juste s’il y aurait ou s’il n’y aurait pas de séance. Vers neuf heures et demie, la moitié de la salle ayant fini par s’emplir, on forma le bureau. Ce fut vague. Un secrétaire en salopette s’installa à l’une des tables ; le père Bougeot se vit expédié à la présidence. Il montrait,