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dans les breuvages cette joie que l’homme poursuit à tous les tournants de sa route malchanceuse ; ils avaient un air étrangement important, héros d’une contingence qui les irritait tout en les mettant en vedette, et les poussait aux ribotes. Tourmentés par l’envie de taper sur leurs concitoyens, ils se refrénaient devant la police, massée à tous les recoins de la gare, avec des piquets d’infanterie de marine et de ligne ; ils étaient apaisés encore par la présence de filles, de femmes et de vieux hommes. Si quelques femelles puissamment casquées apportaient un relent de trottoir, il y avait d’humbles vieilles, aux cheveux blancs et rances ou à la tignasse gris poivre, croupies dans des jupes de pilou, le visage fondu et fatigué ; des adolescentes recuites dans le jus de misère et comme enduites d’argile ; les ouvriers gourds, aux yeux déteints, alcooliques mais honnêtes.

Une effervescence plus âpre travaillait les masses accumulées devant la gare et dans la salle réservée aux miliciens. Des agitateurs distribuaient la Voix du peuple ou la Guerre sociale et donnaient de vagues mots d’ordre. On reconnaissait la propagande antimilitariste ; elle orientait les aspirations tumultueuses, utilisait les instincts de troupeau et donnait quelque courage par le prestige de succès antérieurs. On montrait des brochures : l’Antipatriotisme : Guerre, Patrie, Caserne ; Neuf ans sous la chiourme militaire ; l’Idole Patrie ; mais tout pâlissait devant le numéro spécial de la Voix du peuple.

La première page représente « le retour du soldat de Narbonne chez ses parents ». Un jeune dragon agenouillé et presque renversé, d’une main s’appuie contre le sol, de l’autre se préserve le visage. Sa mère lui tend le poing, son père se dresse tragique ; la légende porte « « Ah ! jean-foutre ! tu as tiré sur le peuple. » En tête de la seconde page, des soldats commandés par un lamentable officier, au torse de