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— Il ne m’a pas vu ! Persone ne m’a vu !

Mais, songeant au charretier et à la vieille, il grinçait des dents. Quelle probabilité cependant qu’ils songeassent à l’incriminer ? Aucun signe ne le distinguait des autres hommes ; il portait un costume correct et terne ; il ne s’était guère hâté.

« Je devais être pâle… mon visage était suspect… j’ai moi-même senti que j’avais un regard de fou ! »

Il se leva d’un bond, il alla s’examiner dans la glace : tantôt il s’estimait à peine troublé, tantôt il s’attribuait un air d’assassin ; parfois il accumulait les indices qui pouvaient mettre la police sur ses traces et les raisons qui le rendaient insoupçonnable.

— Je perds mon temps ! grommela-t-il enfin, il faut laver le poignard.

Il tira l’arme de sa poche et la considéra avec une attention minutieuse. La lame gardait un peu de la terre des fortifications, trois taches rouges se voyaient sur le manche. Alfred les enleva, nettoya le poignard, le fit reluire, et le suspendit au clou où il le suspendait d’habitude, tandis qu’il déposait le revolver dans un tiroir. Il lava ensuite ses mains et son visage, se convainquit qu’aucune éclaboussure rouge ne tachait ses vêtements, ôta ses bottines et les remplaça par des pantoufles.

Ces soins régularisèrent l’ordre de sa pensée : il prépara sa défense. D’abord, il ne fallait mentir que sur quelques détails, afin d’éviter les pièges de la mémoire, la ruse des magistrats et les détours du hasard. Il se fit à lui-même, à mi-voix, le récit de sa promenade. Jusqu’à l’arrivée au boulevard Victor, il parla nettement. Mais alors, ses mots se joignirent mal : il voyait, dans une lueur obsédante, le poste-caserne, le lieutenant, la route humide, il ne pouvait se figurer le chemin fictif qu’il devait suivre. À la longue, cependant, il parvint à