était brusque et furtif. Tantôt attentif, guettant comme un fauve, tantôt distrait, les joues grises et le regard intérieur, il lui arrivait de dire :
— L’armée serait tout de suite supprimée, si on tuait les officiers : pourquoi ne les tue-t-on pas ?
Et à voix basse, avec un singulier reniflement :
— Pourquoi ne les tue-t-on pas ?
Il se mit à rôler autour des postes-casernes et, les dimanches, il descendait jusqu’au Château-d’Eau ou jusqu’à l’École militaire. Au passage des gradés, sa prunelle s’immobilisait ; une haine maniaque emplissait sa poitrine. Il ne leur accorda plus aucune circonstance atténuante ; tous méritaient la mort.
Il acheta un poignard et un revolver. La possession de ces armes l’apaisa. Il les maniait avec méthode, satisfait de sentir qu’il tenait entre ses mains la vie d’autrui et, s’il le fallait, la sienne propre. Dès lors, il mûrit son projet. Assis parmi les autres, il écoutait avec un vague sourire, ou bien, il se calfeutrait, il combinait son coup, dans des alternatives de fièvre et de rêverie. C’était un être simple et profond, en qui les notions avaient une précision extrême, non parce qu’elles étaient bien définies, mais parce qu’elles étaient fortement classées. Depuis son enfance, il était enclin aux idées fixes. Il s’exaltait lentement et lorsqu’il était persuadé, sa croyance vivait comme une créature de chair et d’os. Pourtant il fallait que l’idée eût des rapports étroits avec sa personne : il était incapable, comme Armand Bossange, de s’exciter pour des choses qui ne correspondaient point à des réalités tangibles. Sans la menace du recrutement, l’antimilitarisme n’aurait eu pour son imagination qu’un intérêt lointain et presque illusoire. Mais lorsqu’il écoutait les doléances d’Anselme, il se voyait dans une chambrée puante, couvert d’habits sales et ridicules, rudoyé par un sous-officier crapuleux ou un lieutenant sarcastique. Alors, son cœur rugissait, une sueur