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fants de la Rochelle. Dutilleul lui serrait la main avec une émotion d’abord solennelle, ensuite furibonde. Le garçon Béquillard accourait avec zèle. Madame l’oignait de sourires maternels ; Bardoufle le considérait avec pitié ; Gourjat imitait en son honneur, dérisoirement, l’appel des clairons, les commandements des sous-officiers, les bruits obscènes de la chambrée. Seuls, Tarmouche, Castaigne dit Thomas, le père Meulière et le vieux Cul-de-Singe discordaient. Tarmouche tapait du bock sur la table en criant :

— L’armée, c’est la gendarmerie du monde. Ceux qui n’ont plus d’armée suceront les pieds de ceux qui en ont une. Voulez-vous avaler la sueur des orteils allemands et italiens ?

Le père Cramaux bredouillait :

— Nous serons rasés comme des culs de singe. L’armée, c’est tout ce qui reste pour empêcher les imbéciles de se noyer dans leur imbécillité. Quand il n’y aura plus d’armée, le rêve des idiots s’accomplira : nous serons tous noyés dans la gadoue. Au fond, ça m’est égal, je suis pour la fin de tout, mais ceux qui veulent crever proprement doivent mettre une poire d’angoisse dans la gueule des antimilitaristes.

Au club des jeunes antimilitaristes, Anselme connaissait la gloire. Dès qu’il paraissait au seuil de la baraque, un ban le saluait. Tous se précipitaient pour lui serrer la main et conspuer l’uniforme. Au milieu des vociférations et des menaces, il ôtait son képi et crachait dessus. Il prenait la place d’honneur, on le gorgeait de bocks, de cigares et de cigarettes. Et dans la fumée, Armand Bossange prononçait un speech. Quand le flux labial s’apaisait, on chantait l’Internationale, les Conscrits affranchis, À la caserne !

Quelquefois, Anselme, ôtant sa capote, la flanquait par terre. Le vêtement volait à travers la