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timide, le lieutenant s’adonnait confusément à des littératures, la discipline était brusque à la surface, bonhomme au fond : on travaillait mollement ; sans doute quelques sous-officiers acceptaient des champoreaux, d’autres proféraient des épithètes crapuleuses, mais leurs menaces, communément, ne recevaient aucune sanction. En somme, cette compagnie était supportable. À d’autres époques, elle eût paru douce. Mais l’esprit de révolte sévissait comme une épidémie ; une propagande hardie, incessante, presque automatique, avivait le dégoût et la haine ; les plus placides se gorgeaient de phrases révolutionnaires. Anselme, sans se définir au juste la nature de son supplice ni de ses humiliations, savait qu’il était une victime et un esclave.

La famille exalta ses plaintes. On l’écoutait avec indulgence, compassion et révolte. Le père surenchérissait, en lançant de vastes crachats, la mère couvait son petit avec des yeux prêts à fondre, la grand’mère Bourgogne rôdait comme une hyène, le jeune Maurice bavait de stupeur. Parfois survenaient les fils Bossange. Armand, après un silence, proférait des réminiscences de brochures, mêlées aux propos de François Rougemont et à ses imaginations propres. L’exaspération atteignait au paroxysme. On allait organiser le grand chômage de la conscription. Personne ne tirerait au sort, personne ne répondrait à l’appel : ceux qui restaient aux casernes, encouragés par la protestation de tout un peuple, saisiraient leurs chefs et les précipiteraient aux latrines. Les voix s’éclaboussaient. On entendait glapir la vieille Bourgogne, jurer Perregault, prêcher Armand. Souvent Isidore et Émile Pouraille, Gustave Meulière, Alfred Casselles, Georgette, la grande Eulalie se joignaient au chœur. La maison tremblait de blasphèmes, de menaces et d’enthousiasme.

La même sympathie accueillait Anselme aux En-