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sant la main sur l’épaule. Il ne faut pas que nos amis usent de l’indiscipline à tort et à travers. Cela ne les conduirait qu’à Biribi. Non ! Sauf le cas où l’on ordonnerait aux troupiers de tirer sur leurs frères, qu’ils se gardent à carreau. Ils obéiront donc… d’une façon aussi inefficace que possible ! Avec la force d’inertie, l’entente sourde, le sabotage habile, ils fatigueront et démoraliseront les galonnés ; ils leur feront comprendre qu’il y aurait péril pour eux à vouloir trop exiger de leurs hommes.

Armand aurait préféré une politique plus hardie, des actes glorieux et rudes. Mais il subissait l’entraînement de la nouvelle philosophie révolutionnaire. Lorsqu’elle se manifestait par la parole de Rougemont, elle lui semblait revêtir une énergie mystérieuse, où le stoïcisme se substituait à l’éclat héroïque. Alors, une ardeur plus humble, plus patiente, plus industrieuse, fermentait dans sa cervelle ; les petits gestes quotidiens prenaient figure de rites.

— C’est vrai ! répondit-il. Si je suis trop jeune pour ne pas y succomber quelquefois, je sens bien la faiblesse de l’impatience !

— Toutefois, ne soyons pas trop patients non plus ! conclut le propagandiste. Répartissons sur chacun de nos jours l’exaltation qui entraînait les vieilles barbes sur la barricade.

Les Terrains Vagues étaient là ; tous trois s’arrêtèrent. Pour Armand et le petit Meulière, ce site excentrique résumait les ères saisissantes de la destinée. Ils y avaient rôdé comme de jeunes bêtes par la jungle et la brousse, ils y avaient connu le mystère de croître et de porter en soi un monde d’aventures, ils y avaient mêlé les héros de leurs livres et le trouble divin de l’adolescence. Rien que de voir la Butte-aux-Cailles, les clôtures, les tas d’escarbilles, de poteries et de loques, les herbes malades et les