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— Je ne leur demande que d’obtenir la journée de huit heures. S’ils l’obtiennent en dix ans, ce sera une admirable victoire. Pourtant, ils ne seront pas encore de force à dompter les patrons : ceux-ci, connaissant le danger, vont nous servir du machinisme à haute dose et jeter sur le pavé des myriades de chômeurs. Le chômage, camarade, est l’arme la plus terrible des exploiteurs : croyez qu’ils ne l’ignorent point.

— Dix ans rien que pour obtenir les huit heures ! soupira Armand Bossange.

Rougemont se mit à rire gentiment :

— Vous parlez comme les vieilles barbes. Et je vous comprends, allez ! Que de fois je me suis senti malade d’impatience. Mais c’est contre l’impatience que nous avons institué la nouvelle tactique. Il nous faut gagner la révolution comme nous gagnons le pain quotidien, par un travail lent, âpre, indomptable. L’heure du miracle est finie. Nous avons payé assez cher l’illusion des barricades. Désormais, la barricade sera en nous-mêmes — perpétuelle. Jeunes hommes, si vous semez la graine antimilitariste, sans trêve, sans merci, vous aurez rendu plus de services à la cause prolétarienne que ceux qui se levèrent en juin 1848 et en mars 1871. Je ne me lasserai pas de le répéter : le jour où l’armée sera résolue à ne pas combattre le peuple, ce jour-là, nous verrons commencer les réformes décisives…

Ils avançaient à travers les voies taciturnes. Et le quartier continuait la farouche légende, avec le hérissement des tours d’usine, les dômes des gazomètres, les chantiers de houille, les dépôts du chemin de fer de ceinture, les longues avenues bitumineuses et les rues qui sentent le fauve.

— Oh ! je tâcherai de faire tout mon devoir ! s’exclamait fiévreusement le jeune homme.

— Sans violence inutile, dit François en lui po-