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bonheur, il restait sincère par la ferveur socialiste. Ce soir, il semblait qu’il parlât de choses étrangères à sa nature. Il se le reprochait, devant le petit Bossange, éperdu d’admiration. Les pupilles dilatées, la bouche tremblante de ce jeune homme exprimaient l’étrange excitation qui, de tout temps, entraîna notre espèce vers des buts vagues et chimériques. Par elle se sont faites les extraordinaires synthèses dont la folie et la puissance nous étonnent, et qui font que la foule humaine semble avoir, de tout temps, poursuivi les mirages plutôt que les réalités. Pour Armand, cette heure quelconque figura un moment suprême… Il s’ébahissait d’être là, avec ce Rougemont en qui il incarnait tous les rénovateurs ; chacune des circonstances revêtait le caractère des bonheurs sacrés et des coïncidences merveilleuses.

Tant d’exaltation embarrassant François, il voulut donner un tour plus familier à l’entrevue :

— Comment va le club antimilitariste ? demanda-t-il.

Le jeune homme demeura quelques secondes sans répondre ; son rêve se déclenchait ; mais l’accent cordial du propagandiste adoucissait la transition. Il balbutia :

— Très bien, monsieur. Nous avons plus de trente adhérents. Nous nous réunissons deux fois par semaine.

— J’assisterai à l’une de vos réunions. Tout me passionne dans l’action de la jeunesse. Quoique ma génération soit dans sa force, je sais trop qu’elle ne peut qu’ébaucher. C’est vous qui verrez commencer la société nouvelle. Vous aurez ou aboli l’armée, ou créé une armée neutre qui, en aucun cas, ne se laissera conduire contre le peuple. Alors seulement les grandes choses deviendront possibles !

— Avant dix ans, les syndicats ne seront-ils pas de force à dompter les patrons ?