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Rougemont jeta les trois écus. Tandis que les rôdeurs ramassaient le butin, il conclut :

— C’est égal ! L’attaque nocturne n’est pas un bon truc. L’argent que vous allez emporter est de l’argent gagné par le travail… j’aurais pu en avoir besoin. Si vous voulez absolument voler, arrangez-vous pour le faire sans violence, et adressez-vous aux bourgeois. Vous gagnerez plus et vous courrez moins de risques.

Déjà les bandits s’éloignaient, silhouettes de fauves rogneux, dont on ne pouvait dire s’ils étaient d’ultimes déchets, bons à jeter au pourrissoir, ou des organismes flexibles, dépositaires de quelque mystérieux grain d’avenir. Le meneur secoua la tête et grommela :

— Une des lèpres du capitalisme !

Il y rêva une minute. Le petit frisson du danger rétrospectif passa sur ses épaules. Il ne s’y attarda guère : outre qu’il était naturellement brave, il avait, dans ses pérégrinations à travers des routes perdues et dans les bagarres, trempé son âme aux aventures.

« J’en ai vu d’autres, » se disait-il.

L’image de Christine le ressaisit. Il tourna par la rue de Tolbiac, il parvint à ce pont de fer qui domine les quais de marchandises du chemin de fer d’Orléans. C’est un lieu fantastique. Les fanaux verts, rouges ou topaze parlent la langue qui guide les monstres de fonte et de feu, sur les routes fines des rails. François les aimait. Il les regardait s’allumer et s’éteindre, comme de grands lampyres, parmi les brusques fulgurations des locomotives, les lanternes clignotantes et les lampes éparses. Une hutte de verre, hissée là-haut, par-dessus les fils frissonnants et les câbles noirs, semblait la caverne aérienne d’un enchanteur. La lune éclairait un chaos de sacs, de bois à brûler, de planches, de poutres, de troncs d’arbres, de fu-