Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/260

Cette page a été validée par deux contributeurs.

meure, elle exécrerait l’œuvre d’un compagnon étranger à ses goûts et ses dégoûts. Aussi bien, ne croyait-il pas qu’elle pût l’aimer. Étrangère à ces passions qui se lèvent comme les ouragans d’équinoxe, elle ne céderait qu’à la tendresse choisie et préparée par elle-même. Alors, sans doute, serait-elle capable d’un amour durable et même ardent.

Rougemont devinait aussi que la volonté de Christine serait supérieure à la sienne. Il n’était aucunement fait pour les luttes d’être à être. Son énergie entière se portait à l’entraînement des foules. Dans la vie individuelle, il se sauvait par une certaine insouciance, par son instinct vagabond, par la crainte des cohabitations avec la femme et surtout par l’intuition qui le poussait à préférer celles qui, comme lui, étaient d’humeur errante. Il était celui qui aime le troupeau, l’action en bande, la pensée collective et qui s’inquiète lorsqu’il lui faut, trop longtemps, accepter le tête-à-tête. Avec les femmes, ce sentiment était plus marqué encore qu’avec les hommes : elles s’orientent irrésistiblement vers la vie exclusive. Devant leur appétit d’actions restreintes et d’anecdotes immédiates, il ressentait une étrange mélancolie et presque du dégoût. Et l’idée du nid le terrifiait. Celui où il avait été élevé, où il retrouvait ses souvenirs de jeunesse, était, si l’on peut dire, un nid hétérogène : une aïeule y représentait la femme ; Charles était veuf ; le petit Antoine n’avait plus de mère. Ainsi offrait-il un aspect disparate, qui devenait presque phalanstérien lorsque François y reprenait sa place.

« Je suis positivement nomade, se disait le meneur, en remontant vers le pont de Tolbiac. Je ne me souviens d’aucune amitié jalouse. Toujours j’ai recherché les groupes, jamais je n’ai fait grise mine aux amis de mes amis… Quant à une famille… des gens qui ont l’air de vivre sur un îlot, qui mettent