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X


François descendait le boulevard de la Gare. Tout était vaste et très proche ; l’orbe de la lune roulait parmi des étoiles étrangement blêmes, la chair bleue du ciel semblait absorber les toitures ; des dames furtives, au larynx rouillé par les petits verres, offraient aux passants leurs corps redoutables et leur expérience mélancolique. On entendait bruire une guinguette, les vitres des mastroquets dardaient leurs lueurs de phares ; le faubourg était vieux, branlant, fuligineux, plein d’une humanité recuite, mais dès qu’on levait les yeux, on apercevait la fraîcheur du monde, la jeune nature prête à faire de cette terre souillée une forêt, une savane, une jungle, un abîme d’herbes, de ramures et de fauves.


La Seine parut ; toute la misère et la caducité du faubourg s’abolirent. Les quais durs qui l’enserrent, les ponts qui l’enjambent, les piles de métaux et de ciments n’ont pu détruire la liberté de l’eau vagabonde : elle court, elle palpite, comme ses sœurs de la solitude ; source de toute vie, elle redouble l’image des choses ; le firmament et la ville, les astres et les réverbères, rejaillissant sur sa face brillante, semblent y puiser une deuxième existence, plus neuve, plus douce, plus tendre.

Elle est le cœur d’un paysage formidable. La tour des heures, dressée sur le Paris-Lyon-Méditerranée, la forteresse schisteuse de la gare d’Orléans, la