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détacha un œillet de son corsage et l’envoya à toute volée, tandis que mainte commère faisait un murmure flatteur. Alors, les derniers frissons de l’émeute s’éteignirent. L’orateur sut qu’il dominait, par le léger prestige de la parole, cette multitude que soulevaient naguère tant de forces sauvages. Il put conclure au sein d’un profond silence.

— Camarades, vous réparerez le dommage que vous avez fait à votre bonne renommée ; vous demanderez d’une seule voix que le camarade Deslandes remonte à la tribune et qu’il continue son discours ; vous prendrez l’engagement solennel de l’écouter sans une seule fois l’interrompre, et vous montrerez ainsi que la révolution prochaine aura cette force de domination sur elle-même, faute de laquelle la Révolution bourgeoise de 1789 a raté sous le talon de Bonaparte, la révolution de 1848 sombré dans le gouffre impérialiste et la Commune subi l’outrage et la férocité de Foutriquet…

Un long frémissement parcourut la masse des Rouges, mais personne ne protesta. De nouveau, le regard de Rougemont obliqua, furtif, presque soumis, vers Christine ; elle comprit l’hommage et, devant cette foule domptée, elle le goûta comme une victoire. Deslandes demeurait roide, le visage dur, la bouche tendue. Et quand Combelard s’écria : « La parole est au camarade Deslandes », il répondit, penché au rebord de la loge jaune, d’une voix dédaigneuse :

— Je remercie monsieur François Rougemont d’avoir sollicité en ma faveur l’indulgence de ses amis. Mais c’est lui seul que je remercie. Quant aux autres, ils peuvent être persuadés que je ne leur garde aucune rancune. Ils sont dans leur rôle, ils agissent selon la tradition de leur parti qui, de tout temps, fut un parti d’intolérance et de sauvagerie. C’est moi qui suis sorti de la sagesse, en acceptant de parler dans une réunion dont ils sont