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— C’est le typo qui a la trouille !

L’attente commençait à les énerver. Elle devint insupportable au Géant rouge qui se rua en foudre. Le sang ruisselait davantage. Les deux hommes ne cessaient plus de frapper : le typographe eut la lèvre fendue ; une bosse lui poussa vers la tempe ; puis son œil s’enfla tandis qu’une dent jaillissait de sa bouche avec un jet écarlate.

La paupière de Varang fit ballon sur l’œil gauche ; sa mâchoire craqua. Enfin le charcutier envoya un coup de pied qui désarticula la cheville du géant. Alfred trébucha, avec un cri de douleur, et l’autre se précipitait pour achever sa victoire, lorsqu’un coup en plein ventre lui rompit le souffle et le jeta contre le sol. Le géant, lui mettant un genou sur la poitrine, rauqua :

— Je vous prends tous à témoin que je peux le massacrer !


Les clameurs se heurtaient comme des troupeaux. La multitude révolutionnaire se tassa derrière Dutilleul, les Six Hommes, Bardoufle, Isidore, l’Homard, le petit Taupin, la Trompette de Jéricho. La cohorte jaune se massa devant la loge, avec les deux Sambregoy, le Déroulède, l’Homme tondu. Quelques hommes courageux la rejoignirent ; mais elle ne formait qu’un îlot devant le flot des rouges. Pourtant, ceux-ci hésitaient : les armes dangereuses commençaient à luire. On vit des lames de couteau et des revolvers, une épée triangulaire avait jailli de la canne de Télesphore ; il criait, d’une voix d’assassin :

— Je tue !

Son frère, à son tour, tira l’épée. Et Gourjat chanta avec la force d’une cloche :

Debout ! les damnés de la terre,
Debout ! les forçats de la faim.
La raison tonne en son cratère,
C’est l’éruption de la fin !