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Enfin, sous un effort énorme, Varang toucha le sol. Il n’y demeura pas : pivotant et roulant, il se releva en force, au milieu des vociférations et des applaudissements, se dégagea, tourna vivement autour d’Alfred et le saisit par derrière ; les corps voltèrent et rampèrent l’un sur l’autre. À ce spectacle, les Sambregoy saignants, Dutilleul, la face en hachis, l’Homard, une de ses pinces tuméfiées, Taupin, le Déroulède, l’Homme tondu, la Trompette de Jéricho, Isidore Pouraille et les Bossange, hurlèrent comme des loups ; toute la haine dormante des bêtes sociales s’éveillait au choc des athlètes. Ils avaient défoncé la faible barrière de l’orchestre ; ils coulèrent jusqu’à la loge du souffleur. Là, Alfred échappa aux étreintes ; son poing martela la face du charcutier, mais Varang faillit lui rompre la mâchoire d’un coup à la volée et le ressaisit avec des rauquements de fauve. Un croc-en-jambe fit trébucher le Géant rouge ; tous deux perdirent l’équilibre ; la lutte reprit à terre, farouche, convulsive, implacable. Entre deux étreintes, ils se bossuaient le visage à coups de poing ou se donnaient du genou dans le ventre. Le nez du géant, craquelé, lançait deux jets pourpres ; le charcutier cracha des dents ; une de ses oreilles oscillait, mi-arrachée, comme une loque trempée dans la cochenille.

Soudain, ils se lâchèrent. Haletants, avec des regards d’assassins, ils proféraient des menaces :

— Je te boufferai les foies !

— Je vais faire gicler ta mouscaille !

Toute loyauté avait disparu. Les yeux étaient fixes et sinistres, les bouches devenaient des mufles. Ils ne songeaient plus qu’à se porter le mauvais coup qui assure la victoire, fût-ce au prix d’un meurtre. Et le chœur les excitait :

— Fais-en du hachis, Alfred !

— Hardi, Varang ! Découds-lui le ventre !

— Le charcutier cane !