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sivement le clairon, le tocsin, le tambour et le bruit du canon.

La mêlée fut brusque et incohérente. Les joues de Dutilleul se braisèrent comme un bifsteck sur le gril ; le chapeau d’Isidore vola aux frises ; la tête de Jacquin l’Homard claqua sous la canne de Télesphore ; le Déroulède reçut un bon coup de crâne dans le thorax, et le paya d’un martelage dans les vertèbres du petit Taupin ; les Six Hommes menaient grand tapage de crosses et empochaient des tapes par intermittences ; le charcutier Varang insultait démesurément Alfred le Géant rouge.

— Avale, fripouille ! hurla Dutilleul, qui parvint à placer un coup si roide que Victorien chancela.

Deux ou trois cinglées du maître d’armes rétablirent la balance : le sang commençait à gicler. Le petit Taupin s’était dégagé ; il surveillait le bâton pesant du Déroulède. Jacquin l’Homard venait de placer ses pinces, il les enfonçait avec une férocité joyeuse dans le cou vert de Télesphore ; mais une volée lui tuméfia la face, un de ses yeux se ferma sur une poche soufre et argile.

Cependant, le charcutier s’était frayé une route le long de la rampe. Il apparut devant Alfred, la lèvre supérieure retroussée sur des dents aussi éclatantes que les dents d’un nègre. C’était un homme de cent quinze kilos. Ses épaules s’enflaient comme des jambons ; il se calait sur de bonnes jambes d’Auvergnat, lentes et tenaces, dures et flexibles ; son thorax rappelait celui des gorilles, cerclé de grosses côtes, spacieux, dense et gonflé de muscles. Malgré ses pattes courtes, il dominait de la tête les combattants ; mais Alfred s’élevait plus haut encore. Moins trapu, le géant développait des biceps comparables à des pastèques ; son torse abritait des poumons au grand souffle ; un sang plein de fer lui bouillait aux veines.

— Fait chaud là-haut ! ricana Varang… Mais c’est