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Ni Bardoufle ni l’homme tondu ne savaient comment s’attaquer. La force était en eux, brute et hasardeuse. Pleins de confiance dans les puissantes machines de leurs bras et de leurs poitrines, ils se regardaient en face. Bardoufle ressemblait à cette bête fabuleuse dont le squelette porte, dans nos musées, le nom de mégathérium. Il en avait la structure hideusement trapue, les fémurs brefs, les vastes côtes. Il oscillait avec lenteur, ses mains pleines d’un poil acajou, les maxillaires bossuant les joues massives. L’homme tondu ressemblait au lutteur cosaque Padoubny : posé sur des colonnes rondes et dures, ses pectoraux saillant sous la veste, il tenait ses deux bras en cercle, d’un geste lourd et redoutable.

— Me v’là ! dit-il, en avançant son visage entrelardé contre celui de Bardoufle. T’as demandé un homme !

— Attention ! cria Bardoufle. Je vas chauffer.

— Chauffe, ma vieille… et prends seulement garde de ne pas refroidir !

Ils hésitaient cependant, gênés par le premier geste. Mais un personnage sournois poussa l’homme tondu dont la main s’abattit sur la joue de Bardoufle : elle y laissa une empreinte pourpre. Le terrassier se précipita. Ni sa masse ni sa structure ne se prêtant à l’offensive, il rata l’adversaire et « encaissa » un coup de poing sur le crâne.

Alors, il s’arrêta, campé d’aplomb, d’un air méditatif. Ses yeux bronzés jetaient une phosphorescence ; ses mains étaient entr’ouvertes comme des pinces ; toute sa tactique se portait à saisir l’adversaire.

— T’as ramassé, hein ? ricanait l’homme tondu.

Bardoufle chercha une réplique et ne trouva qu’un grognement. Isidore répondit à sa place :

— Deux petits sous ! Gare la grosse monnaie !

Le jaune esquissa une attaque de face, et comme