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— Ces scènes sont intolérables et ridicules. Vous les jaunes, vous savez bien qu’on n’écouterait pas votre orateur, si vous m’enleviez la parole. Je suis à la fin de mon discours. Pour m’empêcher de dire quelques mots encore, allez-vous rendre le but de la réunion inutile ? Ou sinon, croyez-vous que Deslandes n’est pas à la hauteur de sa tâche ?… Quant à vous, camarades, rappelez-vous que nous avons pris l’engagement d’être calmes !…

— On se verra dehors !… menaça Dutilleul.

— Et gare à vos os de crétins ! répliqua l’aîné des Sambregoy.

C’était le dernier sursaut de la crise. Les jaunes se turent, comprenant que le tumulte ne pouvait aboutir qu’à leur déconfiture. Rougemont acheva son discours à peine entrecoupé de murmures :

— Nous pouvons prêcher avec sérénité l’antimilitarisme. C’est le devoir de chaque père d’élever ses petits en haine de la discipline sauvage et du servilisme des casernes. Nos conscrits doivent partir la rage au cœur… D’ailleurs, jamais propagande ne fut aussi efficace. Après la première brèche faite dans le préjugé, elle a été secondée par d’invincibles instincts. Tout homme libre réprouve l’abjecte condition du soldat ; la préoccupation constante des conscrits n’est-elle pas d’échapper à leur esclavage ? Avant 1870, les familles sacrifiaient leurs économies pour acheter des remplaçants, et c’est encore le cas pour nos petits voisins belges et hollandais : là, les grands et les petits bourgeois, voire les ouvriers qui ont un léger pécule, chargent le marchand d’hommes de délivrer leur progéniture. Lors d’une tournée de propagande, dans une province belge, j’ai assisté à un tirage au sort : on peut difficilement se figurer le délire joyeux de ceux qui tiraient un bon numéro. Donc, le service militaire est naturellement exécré par tous les hommes. S’ils se résignent, c’est qu’ils sont contraints ; ou parce qu’on leur persuade qu’ils