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chroniques, l’épuisement de nos travailleurs. Et, au total, les nègres décrits par notre voyageur vivent dans une liberté dont un artisan européen n’a aucune idée ; ils besognent une ou deux heures par jour ; ils sont mieux nourris qu’un paysan français ; l’impôt n’est qu’une corvée insignifiante. Le narrateur conclut à peu près en ces termes : « Je ne puis m’empêcher de redouter, pour ces pauvres gens, le joug européen. Leur vie est si facile et si insoucieuse, ils goûtent si naturellement les menues joies de l’existence ! Que de fois, par un beau soir, ai-je pris plaisir à leurs fêtes, à leurs danses, à leurs palabres : c’est parmi eux seulement que j’ai vu quelque chose ressemblant à du bonheur… Lorsque l’Anglais, le Français ou le Belge domineront sur cette terre, c’en sera fait de cette agréable existence. Il faudra travailler dans la forêt ou sur la plaine pour acquitter l’impôt, être réquisitionné pour d’exténuants portages, se voir disputer cette étendue où l’on évoluait comme des enfants joueurs : ce sera le dur destin, l’âpre prévoyance, l’abrutissement et l’avachissement par l’alcool ! »

Vous le voyez, camarades, le nègre, en définitive, a un sort meilleur que l’ouvrier moyen. Il travaille un peu pour vivre, puis il jouit à son aise du temps et de l’espace. Et cependant, il appartient à une race pauvre, mal outillée, qui ignore nos machines, qui n’a aucune idée de nos vastes entreprises. C’est que le nègre ne connaît pas ces bêtes tentaculaires, ces pieuvres épouvantables, ces parasites calculateurs que sont nos bourgeois…

Pardonnez-moi, camarades, cette petite digression — à laquelle je pourrais en joindre bien d’autres qui, toutes, montreraient la même chose, savoir que maintes populations barbares jouissent d’une plus grande liberté matérielle que l’artisan français. Et quand on pense que la France est peut-être le pays le plus riche du monde, on avouera