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cadence ou tournaient les uns vers les autres des faces d’anthropophages.

Dans la loge des jaunes, le sculpteur Barrois labourait sa barbe à poings perdus ; les frères Sambregoy crispaient des bouches d’assassins ; le charcutier Varang, dressé sur ses pattes basses, ricanait sans répit. Christine, légèrement inclinée sur la panne rouge, écoutait, avec un vague sourire ; parfois, une douceur dédaigneuse entr’ouvrait sa bouche éclatante et montrait l’éclair nacré des incisives. Et pour lui plaire, Barois serait allé prendre Rougemont à la gorge ; Varang aurait bondi sur le torse d’Alfred le Géant rouge ; les frères Sambregoy fondraient sur les cannes des Six Hommes.

— Des foutaises ! scanda le charcutier… les syndicats rouges, c’est du sel sur la queue d’un moineau.

— Tes tripes ! hennit Dutilleul… tes vieilles tripes aux chiens…

— Viens-y ! hurla Varang. Je connais la place où mon pied mettra dans le mille.

— À la broche !…

Combelard sonnait à deux mains :

— Silence ! Chacun parlera à son tour !

La voix retentissante de François dompta le tumulte :

— Oui, camarades, la solidarité seule mène au but. À condition, pourtant, de faire chaque chose à son heure. Il faut sérier les questions. Autant que possible, les énergies seront concentrées sur un point. Pour le moment, je pense qu’aucune réforme n’est plus nécessaire que celle des heures de bagne ! Les « huit heures », voilà la grande pensée du parti syndicaliste. Le fait même que cette préoccupation a pu prendre une telle importance est un signe des temps. Sans doute, hier, l’artisan comprenait combien son esclavage était aggravé par l’excessive durée du travail, les malheureux sentaient