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les réformes jour par jour, mois par mois, année par année, sans répit, sans lassitude, sans faiblesse. Le vrai syndicaliste est un homme qui vise à la fois l’avenir et le présent ; c’est un homme qui vit révolutionnairement, pour qui la société n’est pas une chose faite mais une chose à faire, un homme qui ne perd jamais l’occasion de se perfectionner dans le sens communiste et de revendiquer une amélioration, si minime soit-elle. Il est prêt aux grèves nécessaires, prêt à verser son obole pour aider les grévistes des autres syndicats, prêt au sabotage lorsque l’heure est venue de recourir à ce moyen d’intimidation et de propagande, que, pour mon compte, je crois destiné à un large avenir, prêt enfin à user continuellement de sa force, de sa ruse, de son courage, de son argent, dans l’intérêt du parti révolutionnaire ; et par ailleurs, il veut, dès maintenant, tirer de son travail tout le bien-être possible : c’est enfin un esprit positif qui ne se paye pas de phrases, qui ne croit pas aux baguettes des fées, mais qui comprend qu’un positivisme purement égoïste demeure infructueux, que l’union seule est féconde, que la solidarité seule mène au but !

Cette fois, les applaudissements tonnèrent. La grande voix de l’orateur, ses gestes accélérés et d’une ampleur savante, son débit consistant et chaleureux, emportaient les âmes orageuses. Un cyclone tournoya. Alfred, le Géant rouge, élevant sa face cramoisie, bramait, les poings en croix ; le mufle sablonneux d’Isidore bavait d’orgueil et de plaisir ; Dutilleul et les Six Hommes entrechoquaient les crosses de leurs cannes ; Jacquin l’Homard ouvrait et refermait ses pinces sanguinolentes ; Armand Bossange enfonçait les ongles dans sa veste ; Gourjat enflait une voix de steamer ; Bardoufle émettait un ronflement de toupie hollandaise ; trois dames entrelacées gloussaient comme des poules en gésine ; et de toutes parts, les citoyens hurlaient sans