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sible qu’un communisme de producteurs, de gens connaissant intimement les produits, soit une utopie ?

Des applaudissements déferlent, striés de murmures. Plus que le tableau prévu des cultures et des industries communistes, le couplet sur les actionnaires avait intéressé l’auditoire. D’un autre, le peuple eût réclamé une tirade plus sentimentale, mais la voix chaude de Rougemont vivifiait les chiffres. Il peignait d’un geste amusant la foule vague et ignorante des souscripteurs, il mimait l’homme au trois et demi pour cent, il exprimait avec bonheur le hasard et l’aventure de la spéculation contemporaine. Son autorité s’étendait jusque sur les adversaires. Ils n’interrompaient guère, ils attendaient la suite, ils ne pouvaient échapper entièrement au charme de la voix et à la sincérité du meneur.

— Camarades, si j’ai tenu à vous entretenir de ces questions générales, c’est afin de répondre par avance à l’orateur qui doit me suivre à cette tribune, et qui ne manquera point de vous parler de la concurrence, des aptitudes, des inégalités naturelles, de la nécessité pour les énergies de lutter librement entre elles. Or, je crois bien vous avoir démontré que, dans notre société actuelle, la concurrence est une sornette, que les aptitudes sont étouffées, que les inégalités naturelles ne comptent pas devant les inégalités fictives introduites par la loi et par l’héritage, que les énergies ne luttent pas du tout librement, et même que cela leur est impossible, qu’un monstrueux désordre préside à la lutte sociale. Je crois avoir montré aussi qu’il n’est pas plus difficile de concevoir l’exploitation communiste des terres, des mines, des usines, que la distribution des eaux et la distribution du gaz, qui sont des entreprises bourgeoises, non seulement collectives, mais basées sur l’anonymat. Pour nous, ces ques-