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nos pères de 1871 ont pu répandre l’enthousiasme et l’amour de la justice. Il n’y a rien de grand et de beau qui ne commence par une aspiration confuse. Il n’y a pas non plus une vérité qui ne soit d’abord encombrée d’une multitude d’erreurs. La vérité socialiste n’a pas échappé aux obscurités et aux tâtonnements. Et qui serait assez fou pour dire qu’elle ne renferme pas encore sa part d’illusion ? Ce n’est certes pas moi. J’oserai même dire que cela ne me déplaît point. Beaucoup d’hommes sont frappés par la noblesse, par la générosité, par la grandeur des doctrines révolutionnaires plutôt que par leur clarté. Pourtant nous nous plions mieux à la réalité des choses. Nous ne confondons plus guère une société avec une mécanique ; nous comprenons que s’il y a un certain nombre de choses que nous pouvons définir et prévoir avec exactitude, il y en a d’autres que nos descendants seuls entreverront. C’est des premières que je vais vous parler ce soir.

Sa voix planait, large et haute comme le vol des aigles, tout son être respirait la bonne volonté, une ardeur simple, loyale et fidèle.

— Ne craignons pas de commencer par le commencement. Posons une fois de plus le problème fondamental du communisme : la suppression du prolétariat. Et qu’est-ce que le prolétariat ? C’est une multitude humaine sacrifiée à des forces économiques aussi cruelles, aussi brutales, aussi destructives que les forces de la nature sauvage. Un prolétaire est un être abandonné par la société, avec laquelle il a cependant fait un pacte et dont il est le principal soutien. Il se débat contre une puissance formidable, le Capital, dont il est le vrai créateur et dont les armes sont tournées contre lui. Presque toutes les lois le menacent. Il lui faut, continuellement traqué par la famine, conquérir son pain dans l’antre même de ses ennemis. Il est à la merci du chômage et de la sottise, de l’indifférence, de