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larges comme des yeux de cheval, poudrés de suie. Il lisait une brochure cramoisie et, par intermittences, parlait tout bas, d’un air de spectre haranguant des fantômes.

Au centre, Dutilleul s’était installé avec les Six Hommes. Tous portaient des cannes à nœuds, recourbées, munies d’une pointe d’acier ; des églantines neuves étincelaient à leurs boutonnières. Dutilleul, tournant ses poils vers la loge jaune, annonçait des scalps et des estrapades, le pal et la roue, l’huile bouillante, le bûcher, le truffage des ventres, la grillade des pieds, le raclage des viscères…


Vers huit heures et demie, le flot grossit. Les deux portes vomirent une foule odorante. Puis le tabac éleva sa brume sur le marécage ; on vit des citoyens barbus apparaître sur la scène, une clameur des jaunes salua Christine Deslandes. Elle étincelait au-devant de la loge, dans un corsage gris argent, où luisait un fin bouquet de renoncules. À l’éclair de sa chevelure, aux fanaux de ses prunelles, les hommes de France reconnaissaient le luxe des luxes, la joie suprême des créatures périssables : Rouges et Jaunes mêlaient leurs symboles, leurs haines, leurs espoirs, leurs croyances, à la belle fille exaltante.

Le bureau se formait. Un camarade blafard invita l’assemblée à choisir un président. Quelques noms flottèrent dans la fumée ; une barbe scanda :

— Combelard.

La loge des jaunes riposta d’une seule clameur :

— Delestang.

C’était la première escarmouche. Les visages frémirent comme les facettes d’une rivière ; les voix clapotaient, fusaient, ricochaient au hasard des effervescences ; elles s’ordonnèrent, car les deux noms se prêtaient au même rythme :

— Com-be-lard ! De-les-tang !