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naient un air agressif ; Étienne Bardoufle, avec ses fémurs fabuleux et ses omoplates en casseroles ; le petit Taupin qui venait, non comme révolutionnaire, mais comme pilier des Enfants de la Rochelle ; Jacquin, surnommé l’Homard, à cause de ses pinces ; Pierlot qui enveloppait ses adversaires à la fois de ses bras et de ses jambes, d’un geste tentaculaire ; enfin la Trompette de Jéricho qui s’apprêtait à simuler la voix du porc, du lion, du bœuf ou de l’éléphant.

La foule arrivait goutte à goutte. Elle se disposait en îlots, au gré des caprices, des adaptations et des sympathies. On apercevait partout Isidore Pouraille, une églantine rouge à la boutonnière, son visage sablonneux passé au savon de Marseille. Il avait chargé ses épaules d’une redingote moka, décrochée chez le père Monico ; elle poussait son collet dans les cheveux et allongeait une jupe en crinoline. Isidore tenait très haut son œil de poule ; il bondissait sur les arrivants, leur indiquait des places, d’un air mystérieux ; sa joie avait la plénitude des bonheurs d’enfant.

Armand et Marcel Bossange, Émile Pouraille, Gustave Meulière s’étaient tapis à l’amphithéâtre, d’où ils planaient sur les contingences. Émile avait son visage fou des jours de funérailles. Il tâtait sa pomme d’Adam, qui jaillissait du faux col par bonds brusques ; des hurlements de bête s’accumulaient dans sa poitrine ; il adressait aux femmes des clins d’œil épouvantables, tandis que Gustave Meulière, silencieux et tendre, appuyait sa tête blonde à l’épaule d’Armand : la foule, l’atmosphère d’émeute, l’attente des colères, le remplissaient de crainte heureuse et de soumission ; Armand espérait un événement profond, décisif et symbolique.

On apercevait aussi Fallandres, grelottant sous une houppelande énorme. Sa tête de mort jetait des lueurs jaspées, ses yeux semblaient plus creux,