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poussaient trois peupliers couverts de plâtre comme des maçons. La salle reflétait les événements discords de son existence. Le plafond, fruste et brutal, s’éclairait d’un lustre aux girandoles flétries ; les murs montraient des couches de bleu, de rose et de vermillon, et portaient une dame écaillée, au chapeau de mousquetaire : elle symbolisait l’art, l’élégance et le XIIIe arrondissement. Le plancher avait un air pauvre et honnête. Il restait plusieurs rangs de fauteuils dont on apercevait la bourre, tels des nids apparus par la fente des arbres ; deux loges bordées de panne cramoisie ; le demeurant était garni de chaises. Au fond s’élevait la cage d’un paradis. Le théâtre n’avait pas perdu son double rideau ; des peintres en lettres y avaient résumé l’industrie du quartier. Et la scène représentait un jardin, avec une fontaine et une chapelle.

Une avant-garde occupa de bonne heure les positions stratégiques. Une des loges appartenait aux jaunes. Ils s’y montraient sous des espèces vigoureuses. Un homme glabre et les cheveux tordus développait des bras en arceaux où l’on pressentait de lourdes « pommes de terre ». Un Déroulède, à la redingote martiale, les pommettes en nœuds, tenait une trique de marchand de bœufs, assujettie au poignet par des lanières. Mystique et débonnaire, le sculpteur Barrois étalait une tête d’aurochs ; ses lunettes convexes, à chaque embardée de la barbe, jetaient des phosphorescences. Les poings du charcutier Varang semblaient des foies de veau sur de la panne rouge. Au fond de la loge se détachaient deux têtes sinistres, aux joues vertes, aux chevelures roides : les gens reconnaissaient les frères Sambregoy, qui tenaient une salle d’escrime, de boxe et de canne près du boulevard Saint-Marcel.

Les rouges avaient aussi leur loge. Elle comportait une ménagerie hétérogène. On apercevait Alfred le Géant rouge, à qui ses cheveux frais coupés don-