Christine et François se regardèrent, presque gênés de si peu connaître la souffrance. La vie ne leur demandait aucune rançon. Elle coulait en eux, large et fertile, à pleins bords.
— C’est, répondit le propagandiste avec pitié, une formidable énigme. Mais nous supprimerons la douleur.
— Nous l’aggraverons, répondit Christine.
— Je parle de la douleur physique.
— Physique ou morale, nous l’aggraverons !
François secoua la tête avec impatience. Il exécrait la douleur physique comme il exécrait le capitalisme.
— Nous la supprimerons, reprit-il avec force. La douleur physique est un résultat du désordre et de l’iniquité. Quand l’ordre et la justice seront établis, l’hygiène refera le corps de l’homme. Et la souffrance disparaîtra. Entendons-nous bien. Je ne dis pas qu’elle disparaîtra tout entière, je ne prétends pas qu’il n’y aura plus de malades et de blessés, je crois seulement que le nombre en sera fortement réduit et que nous aurons, par surcroît, des moyens sûrs d’atténuer la souffrance. La douleur physique doit être considérée comme un atavisme sauvage ; c’est un mal de l’âge de pierre !
— C’est un mal qui n’a pas cessé de s’accroître. Comme le disait notre professeur Marchais : « La souffrance est une fonction de la sensibilité et la sensibilité est en raison directe de la perfection nerveuse. » C’est par conséquent le contraire d’un atavisme sauvage, c’est un des meilleurs signes que nous puissions faire valoir contre ceux qui prétendent que l’humanité est en décadence. Dire qu’on se propose de détruire la souffrance, c’est à peu près comme si on disait qu’on se propose de faire retourner l’humanité à l’état nègre.
— Pas du tout. On peut très bien concevoir une société d’êtres sains et très sensibles, placés dans