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Comme elle laissait éclater cette conviction, il arrivait à François de la contredire. Et la discussion partait malgré eux. De beaucoup la plus âpre, Christine mêlait le dédain, l’amertume, le sarcasme à ses arguments ; elle laissait entrevoir un mépris profond pour ceux qui s’en tiennent à rêver la quiétude, la sécurité et, en somme, le bonheur.

Un soir, François, rentrant à l’improviste, trouva Christine qui expliquait au petit Antoine les images d’un livre. Une jolie odeur de thé planait sur la table ; Charles Garrigues parcourait une brochure — les Écharpes rouges — la vieille Antoinette rôdaillait à son habitude ; il y avait un charme inexprimable qui venait du repos, du thé, de la lecture et de Christine. Il salua presque à voix basse et se glissa dans un fauteuil pour savourer la scène. Le geai dormassait ; il se borna à soulever la tête, au sein des plumes bleu de nuit, jeta un cri léger et retomba dans ses rêves. On n’entendit plus que la voix de la jeune fille qui racontait l’histoire d’un fleuve. Elle emmenait le petit Antoine dans les nuages, au sommet des montagnes, dans les nappes souterraines, parmi les glaciers, les sources, les ruisseaux, les torrents, les lacs et les marécages. Elle montrait la montagne usée et déchiquetée, les blocs s’entrechoquant dans les eaux furieuses, transformés en galets, en cailloux, en sables, en argile fine ; elle accompagnait le fleuve parmi les forêts, les herbages et les brousses, jusqu’au gouffre de la mer retentissante. Comme elle avait le sens de la nature, elle trouvait des légendes fraîches et simples qui se moulaient sur l’imagination de l’enfant. Il se tapissait dans la jupe tiède, il goûtait à la beauté de Christine une petite ivresse et François, attentif, s’attendrissait.

Le fantôme du bonheur fut là, insaisissable, furtif, prêt à disparaître au moindre souffle. Le meneur ne pouvait s’empêcher de le rattacher à