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cident ; les fenêtres étaient ouvertes, les chambres semblaient plongées dans le ciel, des héliotropes, des muguets, des roses jaunes recevaient la brise et la chargeaient d’un ardent pollen. Le geai dansait éperdûment sur la table, on entendait le tintement d’un harmonica et le petit Antoine, du crépuscule plein les yeux, vint s’appuyer contre l’étincelante visiteuse. L’heure passa, fraîche comme une source, profonde comme une forêt. Christine revint.

Elle goûtait la naïveté incurable d’Antoinette, la tendresse du petit et même le geai, agité, fantasque et baroque. Sans doute aussi ce logis qui s’avançait en promontoire dans l’étendue et cette propreté, cette aération qui ne laissaient rien moisir ni rancir. Ainsi l’habitude poussa ses mille racines. Christine conseillait ces gens à la santé délicate, rendait de menus services, contribuait à l’éducation d’Antoine. Ils l’aimaient avec ferveur.

Le retour de François Rougemont jeta quelque trouble : les visites de Christine se firent plus rares et plus courtes. Quand elle surgissait, toujours un peu soudaine, avec la torche de ses grands cheveux, il se roidissait. Elle était imprévue et redoutable. Elle apportait le mystère du monde et des êtres, tout ce qui fait rêver le cerf au fond des futaies, toutes les images qui chantent dans l’art et la poésie des hommes. François s’en méfiait. Pourtant il ne craignait pas l’amour. Il avait connu sa violence, non sa durée et guère ses peines.

Par une longue habitude, il courtisait les femmes qui, dès l’abord, y mettent de la complaisance et pour qui la passion va par épisodes. Aussi n’avait-il, à proprement dire, aucune séduction sur la conscience. Les choses s’étaient faites, au gré de circonstances faciles et fortuites. Celle-ci ne ressemblait à aucune des passantes cueillies au tournant des jours. Volontaire et lucide, le don de sa personne serait un acte de foi. Elle ne succomberait