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pourchasser, se peigneront entre eux, et le syndicalisme connaîtra la banqueroute. C’est fatal. Mais si ça dure quinze ans ? Je serai mort ou gâteux. Mon vieux Deslandes, il me faut transiger et temporiser.

— Vous serez attaqué tout de même, monsieur. L’index que vous ne voulez pas risquer pour votre liberté tout entière, il faudra le subir pour quelques hommes. Et ce sera l’esclavage.

— Non pas, camarade ! Ils savent que c’est ici un lieu où on traite bien et où on rétribue convenablement l’ouvrier. Avant de s’attaquer à moi, ils ont vingt autres maisons à réduire.

— Votre heure sonnera, monsieur.

Et Deslandes s’en retournait à la tâche. La propagande de Rougemont l’avait exalté. On lui coupait doublement l’herbe sous les pieds. Lui aussi, depuis longtemps, songeait à conquérir ce quartier si vieux et si neuf de la Maison-Blanche. Souvent, lorsqu’il s’en retournait dans le crépuscule, arrêté devant quelque site où les réverbères clignotaient sur des pentes sauvages, dans des ravins d’embuscade, de viol et de meurtre, il s’emplissait d’images et de symboles. Cet homme sec et tendineux croyait par tempérament à l’énergie individuelle et à l’utilité des obstacles. Le rêve d’un bonheur tranquille l’exaspérait. En se voyant plus vigilant, plus apte et plus volontaire que les autres, il avait dès l’abord conçu une justice éliminatoire. Il exécrait les bavards, les menteurs, les voluptueux, les polygames et les buveurs. Tous ceux qui n’aiment pas le travail, s’attardent aux palabres, pourchassent les filles et dont la volonté flotte au fil des circonstances ne sont guère dignes de vivre : que le sort leur soit dur !

Il n’aurait pas fallu le pousser beaucoup pour qu’il réclamât le châtrage des ivrognes, des tuberculeux, des rachitiques et des avariés. Dès l’enfance, il manifestait l’unité et l’invariabilité de sa