tion et un esclavage. Mais les bourgeois s’en serviraient formidablement tant que l’organisation syndicale et fédérative n’aurait pas atteint une discipline parfaite et accumulé de vastes réserves.
François sut que Mercœur était inexpugnable. Par surcroît, ce patron avait un cerveau précis, que les mots laissaient indifférent, et aucune sympathie pour ses ouvriers. Il se rappelait avec amertume qu’ils l’avaient « salé » avant l’Exposition de 1889, et, quoique les grévistes d’alors eussent disparu de ses forges, il gardait sa rancune. Cette rancune n’avait rien de féroce. Il ne se vengeait pas ; il agissait froidement, selon la norme de ses intérêts, persuadé qu’il était imprudent de maltraiter ses hommes. S’il se décida à réduire les salaires, c’est que la situation lui apparaissait menaçante : plusieurs petites forges où le patron et souvent le fils du patron travaillaient de leurs mains, lui faisaient une concurrence affolée :
— Mes bénéfices diminuent, concluait-il… il faut que les frais diminuent aussi.
Rougemont se mit à hanter les voies charretières. On le vit dans les cabarets où s’arrêtent ces hommes noirs, terreux, plombagineux, qui mènent les houilles, les cokes, les moellons, les légumes, le lait, les foins, la chaux, le sable, le terreau, à travers le faubourg. Il les dénichait auprès des usines à gaz, des dépôts de charbon, des chantiers de déblaiements, des quais de la Seine et des gares de marchandises. Il emmenait avec lui des compagnons ardents ou grivois choisis parmi sa garde, et trois ou quatre maréchaux.
Il obtenait, à grand renfort de petits verres, la promesse de boycotter Mercœur, si Mercœur persistait à réduire les salaires.
Ces promesses n’étaient guère solides. Beaucoup de charretiers n’avaient pas le choix ; d’autres s’en-