permis la bataille. Les chômeurs fourmillaient : en six ans, près de la moitié des travailleurs se virent éliminés ; de nombreuses maréchaleries connurent la faillite, d’autres végétaient misérablement. Aussi, lors même que Mercœur réduirait les salaires de quarante pour cent, les ouvriers n’auraient qu’à courber la tête ou à tenter fortune dans quelque autre industrie. Beaucoup de maréchaux l’avaient fait qui s’étaient réfugiés dans les fabriques d’automobiles ; mais ces fabriques regorgeaient de monde et l’on percevait les prodromes d’une crise.
Il y eut un meeting à la Bourse du travail. Dans la salle des fêtes, vaste et lugubre, on vit se dresser des cyclopes à la belle structure. Cette assemblée de la pénurie et de l’inquiétude décelait une humanité de force, d’endurance, de noblesse primitive. Une lumière d’aquarium, descendue du plafond vitré, éclairait les Ajax, les Diomède, les Hector, les Énée, les Euryale.
Ces guerriers des Iliades étaient de pauvres gens saisis par la fatalité, pris au piège de l’évolution, attardés dans une vieille industrie frappée de mort. Ils tournaient vers la vie neuve une âme indignée, craintive et ignorante. Ils s’assirent sur les bancs de bois, ils virent les orateurs se succéder à la tribune.
C’étaient des hommes de leur sorte qui, s’essoufflant à mettre en ordre leur pensée, la répétaient avec emphase. Invariablement, ils prêchaient l’organisation, le recours aux syndicats, la guerre contre les traîtres, l’entr’aide, la haine de l’exploiteur. Violents ou plaintifs, flasques, sanguins ou nerveux, sarcastiques ou graves, ils vidaient sur l’auditoire des mentalités nourries aux mêmes sources, ils tournaient sur une piste monotone. Car ils s’avouaient, au fond, la puissante fatalité ; ils avaient vu mourir jour par jour un peu de leur corporation antique : chaque automobile tuait plusieurs chevaux, et les automobiles croissaient innom-