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leurs : la seule différence entre vous et nous, c’est que nous vous donnons plus que vous ne nous donnez.

L’orateur se délectait. Ces aphorismes de brochure passaient sur ses lèvres comme un mets délicieux.

— Et mon cheval ? éclata l’imprimeur… lui aussi, je suppose, me donne plus que je ne lui donne ? Et les machines ? Elles rendent au centuple ce qu’elles ont coûté.

— Les machines sont l’œuvre des exploités.

— Allons donc ! Les machines sont l’œuvre des inventeurs, et les inventeurs sont des bourgeois, même quand ils sortent de l’atelier. J’en sors, moi. Je sais ce que ça coûte, de monter une affaire. Je sais ce que sont les imbéciles et les fricoteurs. Vous pouvez dire à vos camarades que le nouveau fera comme il voudra. C’est un copain, je ne le lâcherai pour personne. Adressez-vous à lui… ça ne me regarde plus !

— Vous avez signé un contrat.

— Et je l’ai observé, je l’ai même trop bien observé, vu votre conduite. Aucun de vous ne fait son devoir, donc, moralement, il y a eu erreur sur les personnes, comme on dit devant les tribunaux. Je ne crois pas du tout faire tort à ma signature en faisant une exception unique pour un vieux camarade. Et en voilà assez. Je suis le maître. Je ferai ce que je voudrai.

— Vous vous êtes engagé vis-à-vis du syndicat.

— Je me moque du syndicat.

— Nous savons ce qui nous reste à faire.

— Et moi, je m’en fous !…

Il s’était levé ; sa colère pâle était devenue une colère rouge ; il ne voulait plus voir les conséquences de son acte.


Les délégués examinèrent ses propos et se prononcèrent pour la rupture :