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noyaient autour du « singe », tandis que l’ouvrier répondait avec flegme :

— C’est seulement pour dire que lorsque nous aurons fait la reprise du capital, nous vous traiterons en vieux frères… et pas en chevaux comme vous faites avec nous… Tant qu’à la tête de veau, je l’aime mieux que la tête de bœuf !… Y a moins de corne, patron.

Les rires continuaient, sourds, subtils, insaisissables, piquant le cuir du vieux et lui poussant le sang aux tempes. Il s’abandonna à sa rage :

— Eh bien ! vous irez porter vos goûts ailleurs… Moi, je ne veux pas qu’on m’embête…

— Pardon ! fit l’ouvrier d’un ton froid, mais plein de menace. Vous ne voulez pas dire que vous me mettez à la porte ?

— Un peu, mon petit !

Le collier de Boucharlat se hérissait autour des joues, ses mains s’entre-choquaient comme des castagnettes :

— Et le motif ? reprit, plus froidement encore, l’homme.

— D’abord, vous avez un poil dans la main… Ensuite, vous vous foutez de moi. Et puis, je suis encore le maître ici !

— Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il est enragé. Je n’ai pas de poil dans la main : vous me donnez sept francs par jour… je vous donne pour douze francs d’ouvrage. Et je ne me fous pas de vous. C’est vous qui m’avez engueulé, et rudement encore, je prends les camarades à témoin. De motif, y en a donc pas plus que dans mon œil. Pour ce qui est d’être maître chez vous, c’est à voir. Vous avez votre imprimerie et les bénéfices de ce que vous tondez sur notre dos. Mais nous ne sommes pas vos chiens : y a tout de même un contrat et on ne se laisse pas foutre à la porte comme ça. Je vous assignerai devant les prud’hommes rapport