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mille, de l’ortie, du millepertuis perforé, des giroflées, du lupin, de la luzerne, du trèfle, de l’herbe-aux-chats, des nemophyllias… C’était sa savane. Il la regardait avec de grands tressaillements. Elle exprimait la langueur de septembre, la détresse d’hiver, les gloires d’avril, la chaude sécurité estivale ; c’était la matière fraîche d’un rêve qu’il étirait, qu’il étendait jusqu’aux nuages, qui coulait en lui comme les eaux d’une fontaine.

Le dimanche, il emmenait son frère Marcel, Gustave Meulière, Émile Pouraille, Alfred Casselles, déjeuner au bois de Clamart ou de Verrières. Ils cherchaient quelque combe ou quelque réduit clos d’épines. Dans la salle verte, parmi les piliers bleus ou les colonnettes argentines, ils avaient un frémissement de délivrance. Comme toutes les grandes douceurs humaines, cela commençait par le banquet. Gustave sortait de son sac des tranches de viande rouge, un pain fauve, des fruits, du vin blanc ; Émile exhibait du gruyère, du lard fumé, des figues, de la piquette grise ; Armand et Marcel avaient des œufs, du fromage de tête, des chaussons aux pommes, une demi-miche, des bondons ; Casselles dépaquetait du pain de seigle, du jambon, du veau, des petit-beurre, une bouteille de fronsac, une toile cirée.

Le menu étant collectif, chacun puisait au tas ; ils étaient des tziganes, des Comanches, des explorateurs ou des citoyens de la société nouvelle. La variété des nourritures ajoutait aux illusions et parachevait leur exaltation. Les phrases galopaient dans le cerveau d’Armand, il annonçait la beauté et la bonté humaines, le règne de l’industrie et le triomphe de la terre.

Peu d’étendue suffirait pour produire une nourriture surabondante ; la nature garderait des forêts, des savanes, des déserts et des brousses, elle créerait des formes neuves et surprenantes, on comprendrait