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d’attendre un officier au coin d’une rue et de lui planter un couteau entre les deux épaules ; Armand Bossange se remémorait la sainte inquisition. Tous répondaient aux lettres de Varlope par des cris de haine et de malédiction.


C’est d’ailleurs aux adolescents que Rougemont adressait ses discours les plus pathétiques. Il les aimait, ils étaient près de son âme malléable et de son énergique optimisme. À les voir se renouveler par la parole, il se renouvelait lui-même. Imagination nourrie d’avenir et de possibles, pour qui le passé n’existait guère, il goûtait mieux son rêve auprès de ceux qui connaîtraient la société nouvelle. À les voir saouls d’espérance, il se grisait lui-même ; il oubliait la durée.

Autour d’Armand Bossange, le meneur noua toute une bande. Il retrouva dans ce jeune homme l’énergie d’apostolat de sa vingtième année. Les lectures d’Armand, chaotiques et fuligineuses, eurent leur orientation : le néosocialisme devint le symbole du monde.

Jadis, une théorie enseignait que d’invisibles germes, émanés des êtres vivants ou même morts, pénétraient les rocs et les montagnes, où ils déterminaient des structures comparables à celles des organismes. D’où ces formes étranges, ces coquillages, ces squelettes, ces empreintes animales, qu’on trouve dans la profondeur du sol : ainsi, dans l’esprit d’Armand Bossange, le néosocialisme reconstruisait à son image la science, la philosophie et les arts.

L’adolescent fut saisi du mal de la justice. Il la retrouvait dans le tourbillon des nébuleuses, dans les métamorphoses de l’individu et des espèces, dans l’histoire et dans la légende, dans chaque spectacle du ciel, de la rue, de la librairie Delaborde et du foyer. Il ne respirait plus une fleur sans que le