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Mais il ne récidiva point. Sa pensée rentra dans les creux de sa cervelle et y demeura incrustée ; il se remit à approuver l’éloquence. Au fond, il avait cette impression que les choses sont d’autant moins réelles qu’elles sont mieux racontées : il ne croyait qu’à ce qui pousse dans les champs ou se fait avec les mains et les machines.


Alphonse Perregault et son fils cadet venaient chaque soir aux Enfants de la Rochelle. Ils faisaient plus de crachats que toute l’assemblée et leurs faces groseille, vissées de près sur le torse, suaient un orgueil brutal et opiniâtre. En ce temps, le second fils Perregault, Anselme, dit Varlope, faisait son service militaire. Cet événement révoltait la famille. Alphonse, qui avait échappé au recrutement, sous l’Empire, ne pouvait admettre que sa race fût asservie à des sous-officiers ; les lettres amères de Varlope entretenaient sa fureur :

— Si encore c’était pour quelque chose, hurlait-il, mais je la connais, leur armée : pas plutôt qu’on la mettrait devant les Allemands, elle serait en bouillie. Et tant plus ça ira, moins y en aura. Nous sommes foutus pour la guerre, c’est plus dans le sang ; il n’y a qu’à faire comme la Suisse…

François versait de l’huile sur le feu. Après de fortes tirades sur la décadence de l’esprit militaire et patriotique, il passait aux anecdotes. Au cours de ses campagnes dans l’Yonne, il en avait cueilli d’extraordinaires. Et chaque habitué des Enfants de la Rochelle en contait quelqu’une. Elles étaient brutales, cyniques, hideuses ou pitoyables. Elles évoquaient le meurtre, le vol, la syphilis, la pédérastie, l’alcoolisme, la prostitution et embrasaient les jeunes : le petit Meulière songeait à fuir en Amérique ; Émile Pouraille imaginait des poisons subtils, dont on imprégnerait le linge des gradés ; le jeune Perregault ne voyait rien de plus beau que