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n’objectait rien ; il n’acquiesçait pas davantage.

Ce silence excitait Rougemont qui, cherchant le joint, tâtonnait, engageait le fer au hasard. Il avait toujours eu la préoccupation des taciturnes ; dans son enfance, il les redoutait ; maintenant encore, il subissait l’impression de leur dédain. Pour les forcer à répondre, il usait de la ruse, de la plaisanterie, d’un arsenal de questions simples. Antonin, quoiqu’il fût sans duplicité, répondait comme un Normand. Au fond, la parole de François finissait par l’émouvoir. Un soir, après avoir bourré sa pipe, il dit :

— Je ne travaille pas même huit heures par jour, je chôme le dimanche et le lundi, tous les trois mois, je prends une quinzaine de congé ; on me paye bien, mon patron est un brave homme. Qu’est-ce que je ferais dans les syndicats ?

— Ce que j’y fais ! répondit François. Moi aussi, je touche de hauts salaires, je me repose quand je veux, j’ai de longs congés : mais la vie du prochain m’intéresse.

Cette réplique déconcerta l’homme frileux. Il la médita pendant les heures de son engourdissement. Et il passa de plus longues soirées aux Enfants de la Rochelle, écoutant avec bien-être la voix du propagandiste. Une joie lente dissolvait sa fibre ; il faisait le songe rassurant de l’altruisme : l’hostilité est morte, les yeux des hommes ont fini de se regarder avec froideur, cruauté ou défiance, les foules deviennent des énergies généreuses, le pain quotidien n’est plus une énigme terrifiante ni la vieillesse le trou noir de l’abandon… Fallandres se chauffait aux phrases de Rougemont. Elles pénétraient comme le soleil de juin ; elles se scandaient sur des accents forts et sincères ; elles palpitaient, elles étaient vivantes.


François conquit très simplement Étienne Bar-