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Il avança lui-même une chaise :

— Monsieur, geignit alors Bossange, c’est une grande joie.

— Ça ne m’étonnerait pas, repartit Joffard. Et, à vrai dire, mon intention était de vous causer une grande joie. Pour que je continue, il n’y a qu’à continuer vous-même : une part d’association est au bout.

— Je ne m’y attendais plus ! Je ne m’y attendais plus ! cria lamentablement Bossange.

Des larmes passèrent sur ses yeux. Joffard le frappa dans le dos, lui fit prendre du porto et lui donna congé pour le reste du jour. Et Bossange rôda jusqu’au soir, sans réussir à fatiguer son bonheur. Une fissure immense ouvrait le ciel : il y entassait ses espérances. Les façades sales, la boue, les fumées furent le jardin de la fortune.

« Je regrimperai ! »

Ces mots soufflaient avec les cornes des tramways, la fusillade des automobiles, le tintement des fiacres ; ils se lisaient sur les affiches et sur la face maussade des passants. La vision de Bossange était d’ordre poétique et mystique : il aspirait vers sa caste avec un sentiment de réhabilitation, de pureté et de gloire. Il eût sans plainte couché sur la dure et mangé le brouet, mais dans une maison bourgeoise, parmi des meubles bourgeois, une vaisselle et du linge bourgeois ; c’était l’église, l’autel, la chasuble, l’ostensoir, le ciboire de son culte.

Les promesses de Joffard ne furent pas vaines. Bossange monta. Il put installer sa famille dans un petit appartement du Luxembourg ; les enfants furent au lycée ; une vague respectabilité envahit Adèle. Durant quarante mois, la chance resta fidèle ; la participation aux bénéfices s’esquissa. Puis, Joffard mourut subitement. Des héritiers sournois dégoûtèrent le vieux Varinaud, qui vendit sa part. Un rapace dirigea le personnel, rogna sur les appointe-