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plus rôdeur, plus mêlé aux conspirations des petits Indiens du faubourg, se révélait d’abord par ses yeux. Peu d’yeux humains sont plus grands. Ils s’ouvraient comme des yeux de lion ; ils passaient du bleu d’outre-mer à la turquoise et, dans la pénombre, semblaient une nichée de vers luisants. Pour n’être pas vaincu dans une lutte, ce petit garçon pratiquait des manœuvres atroces, il eût tué ses antagonistes. Très pâle, mais doué d’une santé métallique, avec ses joues mobiles, ses dents pointues, son nez concave et goguenard, ses lèvres toujours prêtes au sarcasme, au défi et à l’injure, il avait bon cœur et défendait héroïquement les faibles.

Entre autres dons, Adèle avait celui du mensonge : elle le pratiquait avec une candeur de Hottentote. Les enfants en ont le génie : la nature, dont ils sont si proches, ne comporte-t-elle pas une dissimulation sans trêve ? Le faible y doit perpétuellement truquer sa trace pour échapper au fort, et le fort meurt de faim s’il ne sait tromper sur son approche. Les petits Bossange virent la mère couper court aux ennuis en tronquant, maquillant ou niant la fâcheuse réalité : ils mentirent, intarissablement. Adrien, véridique jusqu’à la faiblesse, comprit que la lutte directe ne mènerait à rien. Il fallut plier ; il supporta les puanteurs du mensonge comme il subissait l’incurie et la saleté.

Il y eut pourtant une heure où les époux furent d’accord : l’un et l’autre voulurent qu’Armand et Marcel fissent leur première communion.

Adèle disait :

— Je ne crois à rien, mais Jésus a fait des miracles et ceux qui ont craché sur l’hostie en sont morts. Saint Joseph avait la trouille, mais sainte Marie a guéri ma sœur.

Elle ajoutait, pour s’expliquer à fond :

— Bien sûr que la religion c’est des foutaises,