Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plus que des coups de râteau et fit fléchir les épingles. Adèle savatait ses pieds et laissait flotter ses seins dans le caraco. Lorsque Bossange lui faisait réprimande, elle ne se cabrait point, elle approuvait et même s’accusait, supprimant ainsi l’insistance. Les paroles passaient au travers d’elle. Et la femme triomphait comme une force de la nature, sans même prétendre au triomphe.

Adrien vécut au camp volant ; il se cuirassa contre l’essence des urines, de la sueur, de l’oignon, de la ciboulette, des ragoûts, des pommades. Il eut des jours aussi affreux que ceux d’un inventeur méconnu ou d’un poète sans gloire. Car les sensibilités ne sont pas ce qu’un vain peuple pense. La nature a voulu que Victor Hugo fût, en somme, rude et grossièrement sensuel, tandis que des épidermes fins se crispent au fond d’un bureau, que des âmes délicates se recroquevillent dans un logis pauvre.

L’idéal de Bossange était rétréci, son intelligence médiocre, ses goûts quelconques, mais il connaissait des chagrins nuancés, il possédait un sens parfait de l’ordre et de la politesse. C’était de quoi subir toutes les tortures de la déchéance. Il ne put maintenir aucune tradition : les enfants parlèrent le patois d’Adèle et furent couverts de rapiéçures ; ils connurent la gourme et les poux ; leurs cheveux s’infectaient de tenaces pommades ; la morve leur pendait aux narines.


C’étaient des garçonnets sains. L’aîné, Armand, sous des cheveux en baguette, montrait un front frais, bien coupé aux tempes, des yeux châtains, où la vie jouait avec grâce, deux joues un peu larges, mais d’une pâte friande. Une certaine perspicacité apparaissait, par périodes, dans les actes du petit, mais jusqu’à douze ans, il fut un animal brusque, un frère de chiens errants.

Son cadet, Marcel, plus sauvage, plus agressif,