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l’ouvrière lui semblait le dernier terme d’une adaptation à la défaite, tandis que la paysanne, par sa barbarie têtue, peut être un commencement.

Il lutta donc. Mais un dimanche de printemps, la nature, aidée par la complicité d’une dame Glapissart, triompha. Adrien Bossange abusa d’Adèle dans une circonstance où il eût été bien difficile de ne le point faire. Il répara le grief et ce fut une déchéance. Le mari et la femme n’avaient en commun aucun scrupule ; leur langage et leurs goûts se contredisaient ; Adèle raffolait d’odeurs insupportables ; chacun de leurs gestes décelait un autre rythme ; et quoiqu’elle aspirât à la bourgeoisie, son ambition comportait un orchestre d’idées et de désirs qui consternait Bossange.

Le grainetier n’osa pas recevoir des hommes de sa caste. Il eut, dans des cafés lointains, quelques compagnons vagues, stagnants et monotones, près desquels il goûtait le plaisir du nivellement. Si la fortune était venue, Angèle aurait sans doute revêtu des apparences et appris à tenir sa fourchette. Mais le sort frappa. Les industries du quartier passèrent par des points critiques ; une concurrence survint et depuis qu’il était en pouvoir d’épouse, Adrien plaisait moins aux clientes. La déchéance s’accéléra selon le carré des temps.

Il est bien difficile d’abandonner une boutique où la pêche fut bonne, les plus sagaces s’obstinent. L’espoir d’un retour de fortune est mieux qu’excusable : il implique la persévérance, sans que la masse des œuvres humaines péricliterait. Bossange attendit un revirement ; il le prépara par des efforts ingénieux. La fatalité était trop forte.

Les boutiquiers ruinés sont comme les forçats : on les suspecte. Les patrons présument qu’ils serviront mal et avec répugnance. Adrien trouva difficilement place dans une papeterie médiocre. Il fut vigilant, industrieux, perspicace — en vain. Le