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poule ; la face s’allongeait sévère et grise comme une face de vieux troupier ; sa lèvre supérieure cachait l’autre lèvre, elle ouvrait des yeux de hareng, ronds et immobiles, et elle aurait pu être muette, sa langue étant aussi paresseuse que ses bras étaient actifs.

Cette femme travaillait tout le jour avec impatience et célérité : il lui arrivait de nettoyer trois fois le même meuble entre le matin et le soir. Pour le déjeuner, elle cuisait éternellement la même ratatouille : du bœuf ou du mouton avec des pommes de terre, des navets, des carottes, du céleri, un oignon, un panais. C’était fait avec soin et cela répandait une odeur excellente avant le déjeuner, écœurante ensuite. Elle gardait une part du plat pour le dîner ; elle y ajoutait, selon le jour, des œufs, des côtelettes à manches, un petit beefsteack, une tranche de jambon. Tous les samedis, elle achetait une poule vivante, puis, armée d’une hache, elle descendait dans la cour, enfermait la tête de la volaille dans son poing gauche et la guillotinait. Parfois, l’oiseau décapité se dressait sur ses pattes et courait en agitant les ailes, tandis que le sang bondissait par la trouée du cou.

Les Fallandres avaient deux filles. L’aînée, créature blond de zinc, aux yeux de lièvre, était la femme du mécanicien Goulard. Ce mécanicien avait conquis la gloire par son extrême propreté. Malgré le métier, il exhibait des mains claires, sa barbe s’étalait annelée, calamistrée et sentant la bergamote. Il apportait le même soin à son costume : au sortir de l’atelier, il revêtait un complet gros bleu et des bottines brossées avec énergie. Les commères s’arrêtaient pour le voir passer et se disaient entre elles :

— Comme il est propre ! Comme il est propre !

Les galopins même l’escortaient avec considération, et Goulard, connaissant sa gloire, marchait