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sa veste et son gilet sursauter. Bardoufle ne parvenait pas à se faire un ami : Isidore seul tapait cordialement sur ses omoplates ; mais Isidore le fatiguait par des propos décousus et ne l’écoutait jamais. On consentait à se moquer de lui, doucement, d’ailleurs, car il avait des accès de colère ; un jour, saisissant un maçon, il le flanqua de l’autre côté d’une palissade. L’amour ne le consolait point

Les femmes l’écoutaient moins encore que les hommes ; leurs propos l’éberluaient davantage ; il doutait, ayant été lâché plusieurs fois, qu’elles l’aimassent pour lui-même. Aussi se contentait-il d’une matelassière, femme mûre, qui ressemblait à Napoléon Ier, et à qui il faisait poliment visite le dimanche. Elle le recevait en silence, lui servait un corps violâtre et coriace. À Pâques, à la Toussaint, au nouvel an, à son anniversaire, elle se contentait d’un cadeau solide : jupon de laine, camisole, bottines, double cent de charbon ou demi-barrique de cidre.

Ainsi vivait Bardoufle, avec de grands soupirs. Il sentait qu’un idéal germait en lui ; il le cherchait avec chagrin ; il ne l’oubliait ni quand il enfonçait la pelle, ni quand il tapait du pic, ni quand il buvait la bière rousse, le vin noir et la mominette lactée.


L’homme frileux se nommait Antonin Fallandres. Peintre décorateur, il recevait la haute paye.

Il était habile et scrupuleux : le même patron l’employait depuis quinze ans. Antonin travaillait cinq jours par semaine et prenait deux semaines de congé par trimestre. Il vivait avec sa femme et une de ses filles, au coin de la rue Kuss, dans un logement du premier étage. Un énorme poêle de faïence, qu’Antonin avait déniché rue Drouot, chauffait la salle à manger. Il brûlait dès le début d’octobre jusqu’au mois de juin. Une petite table était installée